On a vu que la maison conventuelle, la maison abbatiale, les métairies de la Bilboterie et du haut bourg ainsi que l’église abbatiale avaient été achetées par Jacques Sonolet.
Qui était cet homme ?
Lieutenant-colonel au corps royal du génie, né le 14 octobre 1740 à Rochefort, il semblait disposer de fortune : en 1777, il était propriétaire de l’important domaine de l’Arena en Corse, où étaient plantés des muriers.
Il avait épousé à Saint Quentin dans l’Aisne le 6 septembre 1774 Marie Anne Michèle Saint-Marc (décédée en 1789).
Début 1793, il demanda sa mise à la retraite pour raison de santé et s’installa à Noyers avec sa famille. Dans le recensement de 1794, on comptait 7 personnes chez lui, sachant qu’il y avait des domestiques.
Bien que d’origine noble puisque son père s’appelait Sonolet de la Crestinière, avant que celui-ci n’abandonne la dernière partie de son nom, Jacques Sonolet passait pour un » bonnet rouge », comme en témoignait un vibrant certificat de civisme décerné par la Commune.
Il assura au Comité de Salut public qu’il avait « lié irrévocablement sa fortune au sort de la Révolution, en l’employant tout entière en acquisition de domaines nationaux ».
Sa fille Jeanne née le 6 septembre 1774, épousa le 29 juillet 1798 à Nouâtre son cousin germain, qui était veuf, Gabriel François Hector Sonolet. De cette union naquit le 7 janvier 1799 un fils, Gabriel Hector Jules.
Pendant que son mari, également militaire, voyageait, Jeanne se morfondait à Noyers où elle demeurait seule. Elle habitait dans la métairie abbatiale où elle avait fait murer des fenêtres.
A sa mort, le 19 aout 1808 à Noyers, le domaine dont elle avait hérité, car non commune en biens avec son mari, revint à son fils mineur Gabriel Hector Jules Sonolet qui avait 10 ans.
C’est par ce dernier que l’abbaye de Noyers se trouve dans les écrits de Balzac. En effet, Gabriel Hector Jules alla à la pension Le Guay à Tours établissement où était aussi scolarisé Honoré Balzac, né comme lui en 1799.
Jean Edmond Weelen (1903-1975), écrivain tourangeau qui réalisa plusieurs ouvrages sur Balzac affirme que les Sonolet figuraient parmi les relations des Balzac à Tours.
Ce n’est donc pas par hasard que le romancier cite plusieurs fois l’abbaye de Noyers dans « Eugénie Grandet ».
Eugénie y loge pendant les vendanges, mais l’abbaye semble aussi un lieu de punition où son père menace de l’envoyer.
C’est encore Sonolet, au prix d’une interversion de consonnes, que Balzac nomme le jeune notaire du « Contrat de Mariage » paru en 1835.
La propriété fut vendue en 1817 à M. Baillou de la Brosse (voir Noyers au 19e siècle).
Pierre-Georges Castex, (1915-1995), ancien élève de l’École normale supérieure , docteur ès lettres, professeur de littérature moderne à la Sorbonne et, membre de l’Académie des sciences morales et politiques est un des plus grands connaisseurs de Balzac.
Il a été le maître d’œuvre de l’édition complète des romans, contes, nouvelles, rattachés à La Comédie humaine, publiée sous sa direction en douze volumes dans la bibliothèque de la Pléiade. On y trouve tous les textes de La Comédie humaine, avec une étude très fouillée sur l’historique de la publication de chacun, des introductions et des notes.
Pour Eugénie Grandet, il est venu à Noyers prendre à la source des renseignements. Reçu par Jacques Chazal, Adrien Jahan et Daniel Redlinger, il repartit comblé d’informations qui figurent dans l’édition commentée ci-dessus.